Interview Tin-Tin

Interview Tin-Tin Tatoueur Comment tenter de comprendre plus de 10 années de revendication, de combat, d’abnégation et d’évolution du métier de tatoueur ? En se rendant dans le studio de...
Le 23 octobre 2015

Interview Tin-Tin Tatoueur

Comment tenter de comprendre plus de 10 années de revendication, de combat, d’abnégation et d’évolution du métier de tatoueur ? En se rendant dans le studio de Tin-Tin, à Paris, et en s’adressant directement au principal intéressé.

L’ours de Pigalle s’est confié sans vergogne pendant une heure. Il s’est mué en professeur, sans nous faire la leçon, et nous a notamment donné les clés de compréhension d’un combat qu’il mène depuis plus de 10 ans : obtenir le statut d’artiste pour les tatoueurs de France.

Retrouvez la fiche du studio Tin-Tin Tatouage sur La Galerie du Tatouage 

 

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Un mec qui a piqué autant d’œuvres d’art et qui est toujours en cavale. Quels conseils donnerais-tu à Stéphane Breitwieser ou Antonio Ferrara ?

(Rires) Ferrara est toujours en cabane ? Vous avez raison, c’est peut-être les seules œuvres d’art qu’on peut piquer sans être inquiété ! Moi j’ai été jusqu’à me faire piquer ma bagnole (Tin-Tin s’est fait tatouer « Ma Bagnole » sur le ventre, ndlr) et y’avait pas de voleur ! Pas de besoin de porter plainte, c’est pratique !

 

Plus sérieusement Tin-Tin, le tatouage en France fait aujourd’hui partie des mœurs. Tu as très largement contribué à cette reconnaissance. A quel moment as-tu décidé de t’engager pour la profession ? Est-ce qu’il y a eu un déclic particulier ?

C’était d’abord une quête personnelle, pour revendiquer le statut d’artiste que je trouve mérité autant que n’importe quel mec qui fait de la peinture sur toile, ou n’importe quel photographe. D’ailleurs, s’il existe des mauvais tatoueurs on trouve aussi des mauvais peintres.

Et comme pour tout art, on porte un jugement très subjectif sur ce que produit l’artiste. Il y a des Miro et des Kandinsky que je trouve dégueulasses et pourtant ça vaut des millions. C’est la personne qui l’achète qui détermine la valeur de l’artiste en quelque sorte.

Moi, je me suis ressenti comme un artiste très tôt, sans pour autant avoir la prétention d’affirmer que j’en suis un. Car l’histoire en jugera ! Certains considèrent le football comme un art, moi je trouve qu’il y a des maçons et des peintres en bâtiment qui font un travail remarquable et avec un tel amour de leur métier que c’est quelque part un peu de l’art qu’ils font.

Nous on pratique un métier bien spécifique, que je considère évidemment comme étant de l’art, le seul truc qu’on nous reproche c’est de le faire dans la peau.

Donc, pour en revenir à ta question, j’ai commencé à revendiquer ce statut légalement pour moi et je me suis dit que le jour où je gagnerai pour moi ça ferait jurisprudence pour tous les autres. Donc pourquoi ne pas se regrouper dès maintenant et se battre ensemble.

D’ailleurs, si vous avez suivi les infos vous savez que depuis hier la lutte de masse est autorisée, ce qui nous autorise désormais à porter plainte en groupe. Nous sommes représentés par le même avocat.

Voilà, aujourd’hui on est plus de 1.300 membres, chacun cotise ce qui nous permet de payer nos avocats et maintenant la France, l’Europe voir le monde entier nous envie. Tout le monde s’est fait baiser ; les allemands, les espagnols, les italiens ont tous des lois ultra restrictives !

 

Ils n’ont pas de syndicat ?

Si! Ils ont un syndicat mais avec 20 membres, donc moins influent. En Espagne par exemple pendant les conventions ils sont obligés de tatouer derrière des bocaux en plexiglas et ils ont des mini robinets obligatoires à l’intérieur du truc. Ca ne sert à rien, mais ils y sont contraints.

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Tu fais partie d’une génération de tatoueurs dont beaucoup, comme toi, sont autodidactes. C’est un choix d’avoir appris seul ou est-ce que à l’époque t’y étais contraint ?

A l’époque t’avais pas le choix, il n’y avait pas d’apprenti ça ne se faisait pas. Quand je vois tous ceux qui se plaignent et qui considèrent qu’ils ne peuvent pas trouver d’apprentissage, ils me font bien marrer ; ces mecs là faudrait les mettre 20 ans en arrière qu’ils se rendent compte. C’est facile aujourd’hui de devenir tatoueur.

À l’époque j’ai beaucoup voyagé, j’ai rencontré beaucoup de tatoueurs. Tu regardes tatouer les autres. Y’avait Marcel qui de temps en temps me donnait un flash, il me donnait un petit jeu d’aiguilles mais il ne m’a jamais appris à souder ni à régler mes machines.

 

Il y a plusieurs grands noms de la scène française qui sont passés par ton studio. Comment tu sélectionnes tes apprentis et est-ce que c’est un gage de réussite d’apprendre à tatouer chez Tin-Tin ?

Ce n’est pas à moi de dire si c’est un gage de réussite ! Y’a eu beaucoup de personnes qui sont passées par ici !

Moi je suis impitoyable sur ma méthode de sélection, je ne prends que des excellents dessinateurs déjà. Et puis il y a la relation humaine aussi qui est importante.

Maud a été mon apprentie, Issa également, et il y a plusieurs Pop Stars du tatouage français qui sont avec la réussite qu’on leur connaît. Les Sacha, les Rude Waterzooi, les Sylvain Keuns, Mister Icol, putain y’en a eu tellement qui ont bossé ici !

Après les amis comme Mickael de Poissy ou Alix Gé ils viennent bosser ici mais c’est plus pour qu’on soit entre pote, on reproduit des minis conventions tous les jours !

 

Il y a un gap énorme entre un bon dessinateur et un bon tatoueur. Quels sont les indicateurs qui te font penser qu’un bon dessinateur peut devenir un bon tatoueur ?

Théoriquement c’est la même chose. La technique change mais si tu sais très très bien dessiner il n’y a pas de raison que tu n’arrives pas à tatouer. Après, chaque art a ses nuances, le talent est important mais le travail peut compenser beaucoup de lacunes.

Certains ne supportent pas le poids de la machine. Il y a des très bons dessinateurs qui n’arriveront jamais à tatouer. Mais il y a aussi de très bons tatoueurs qui sont de piètres dessinateurs. Mais tant qu’ils ne font que reproduire les dessins des autres… !

 

T’es passé de l’hyper réaliste au japonais avec des tatouages colorés, plus en mouvement. Un peu comme si Dali avait décidé de faire de l’impressionisme. Quelles sont les raisons de cette évolution ?  

Il n’y a pas une énorme évolution, l’évolution elle se situe dans ce que je publie en fait. Tu vois, je suis en train de faire de l’hyper réaliste au moment où tu me poses la question, tu serais venu hier je faisais du japonais. Donc voilà, c’est surtout les deux styles que je privilégie sauf que pendant très longtemps j’ai arrêté de publier du réaliste parce que les gens pensaient que je ne savais faire que ça. On te demande de faire ce que tu publies en somme.

Mais à l’époque je faisais de tout. Y’a 25 ans j’ai même fait du tribal ! J’ai fait de tout quoi ! Et au fur et à mesure que ta clientèle grossit tu te permets de choisir les pièces que tu veux faire. Donc aujourd’hui pour moi c’est le japonais et le réalisme.

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Tu quittes cette année la présidence du SNAT que tu as toi-même fondé en 2003. Qu’est ce qu’il te reste de ces onze années de syndiqué ?

Je ne quitte pas la présidence du SNAT, t’as mal lu. Pourquoi pas la quitter, parfois j’en ai un peu marre d’être le point de mire de tout et j’ai quand même quelques casquettes sur la tête donc un moment être le seul à bosser avec Grenouille (Grenouille est LA secrétaire du SNAT qui s’investit énormément dans le syndicat, ndlr) ça demande une énergie énorme, donc j’aimerais bien que les autres s’y mettent. Même si je n’oublie pas ceux qui s’y investissent, qui interviennent. Je pense à Pascal d’ITC, à Oliv CorpsTech qui est le nouveau porte-parole qui a beaucoup fait et qui est super compétent.

Et dès qu’il y a une revendication, ça devient de ma faute, quand il y un désaccord c’est moi qui ait hypnotisé tout le monde, tu sais à force d’être sur le devant de la scène j’en ai plein les raisins secs et d’un seul coup le SNAT devient Tin-Tin et vice versa. Donc ça ne fait ni de bien au SNAT ni à moi !

Donc non je suis toujours Président du SNAT et je pense que je vais le rester encore longtemps parce qu’il n’y a pas grand monde qui veut le devenir. En revanche il y a un nouveau porte-parole et d’autres gens qui y travaillent, moi je survole plus de haut, je m’occupe de d’autre choses comme le mondial du tatouage et ça me fait du bien !

Ma conclusion c’est que j’ai sauvé les raisin secs de beaucoup de monde et que ça m’a apporté beaucoup de rancœurs et pas beaucoup d’amour.

 

Il y a quand même beaucoup de tatoueurs qui te sont reconnaissants du travail que tu as fait…

A force oui, mais il a fallu du temps. Il a fallu que d’un seul coup il pleuve et qu’ils se disent « Ah mais y a déjà un parapluie ouvert là-bas ». Mais il a plu fort et on est plus de 1.300 aujourd’hui ! Le plus gros syndicat après nous c’est l’Allemagne et ils sont 100.

 

L’un des grands combats que tu as mené avec le SNAT est la reconnaissance du statut d’artiste pour les tatoueurs. Qu’est ce que cela changerait, in fine, mis à part quelques lignes sur vos fiches d’imposition ?

Bah, je crois que c’est avant tout ça ce que les gens veulent ! Ensuite il y a la dimension du nom, pourquoi nous ne sommes pas des artistes ? Rien qu’au niveau de la sémantique, on se sent un peu les parents pauvres, c’est dégueulasse qu’on ne soit pas reconnu comme tel (à ce moment précis, Tin-Tin tatoue à main levée une pièce réaliste d’une qualité remarquable qui nous fait dire que, quand même, il a raison ! ndlr). Mais je te rejoins complètement sur l’enjeu financier, et je ne m’en cache pas. Aujourd’hui nous sommes les seuls artistes à payer 20% de TVA. Même Mc Donald paie 5% de TVA en vente à emporter. Donc voilà, Mc Do est un artiste, nous non.

 

Qu’est ce qu’il manque aujourd’hui pour que les tatoueurs obtiennent un statut d’artiste ? Quels sont les freins ?

C’est l’Etat. C’est une bataille juridique, on porte plainte, on se bat. On refuse de payer certains trucs, on a été en cour européenne. Mais on ne désespère pas, ça marchera un jour.

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Le fait de considérer le tatouage comme un art induit qu’il y ait une certaine côte établie autour des artistes. Mais jusqu’à présent il n’y avait pas de spéculation sur l’œuvre en tant que telle. Récemment, Wim Delvoye a tatoué le dos d’un type qui a vendu l’œuvre 150.000€ à un allemand qui , en échange, bénéficie d’un droit d’exposition 3 fois par an ainsi que de la récupération de l’œuvre à la mort du type qui la porte.

Tu considères cela comme un progrès ou, selon toi, les limites éthiques de la profession ont été atteintes ?

Ca prouve justement que le tatouage est une œuvre d’art !

C’est une question d’évolution de la société. Après Wim D. c’est comme Philippe Pasqua, c’est le genre de mec qui font réaliser leur œuvres par quelqu’un d’autre et qui posent leur nom en dessous. Mais ça c’est un autre sujet.

Pour répondre à ta question, en France il est interdit de vendre son corps. Tu peux le céder à la médecine mais tu ne le vends pas, c’est interdit. Je ne connais pas la législation en Belgique et je ne sais pas comment ils se sont démerdés. Mais si c’est possible je considère cela comme un progrès puisque ça tend à penser que le tatouage est un art.

Et puis pour une fois qu’il ne fait pas tatouer des cochons… Là, le mec est consentant, c’est lui qui décide de se faire piquer et d’aller se mettre à disposition d’un mécène 3 jours par an… et il prend des thunes avec. Bah c’est cool puisqu’il a accepté.

Et l’exemple sert de jurisprudence ! Donc oui c’est une avancée.

 

Tu organises en 2015 le 4ème Mondial du Tatouage et le 2ème en 2 ans. Quelles sont les raisons qui te motivent à organiser une manifestation aussi importante ?

C’est le troisième en trois ans… et c’est donc le 5ème.

Y a un peu de tout. Paris avait besoin d’un événement dans le genre. Je l’avais déjà fait il y a quelques années et j’avais arrêté parce que ce n’était pas mon métier. Là, ce n’est toujours pas mon métier mais j’ai recommencé parce qu’on me l’a demandé.

Ensuite la communauté du tatouage disait que c’était l’un des meilleurs évènements, si ce n’est le meilleur. Et , 3 ans après sa re-création on a battu le record d’affluence pour un événement autour du tatouage avec plus de 18.000 entrées par jour en 2014 à la grande Hall de la Villette. 25.000 tickets vendus ! Après il y a l’exposition au Musée du Quai Branly qui bat le record de toutes les expositions organisées au Quai Branly depuis sont ouverture. Il y a 2h de queue tous les jours c’est over-blindé !

 

Penses-tu que l’engouement médiatique qu’il y a autour du mondial puisse favoriser l’attribution du statut d’artiste ?

Etre présent à une exposition dans un musée national des arts premiers… Et la même nation qui dépense l’argent du contribuable pour une exposition de cette envergure alors qu’elle nous refuse le statut d’artiste. Tu piges le problème ? Drôle de paradoxe ! Mais tout ça mis bout à bout on y arrivera !

 

C’est la 1ère interview qu’on fait en face à face. Sur une échelle de 1 à 10 tu nous situes où ?

Aller on va dire 8 !

Vous avez attaqué des sujets un peu moins galvaudés que certains, le ton est sympa. J’attends de voir la qualité du papier maintenant !

 

Interview réalisée par la Galerie du Tatouage

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