« Créer une extension du corps »

Le tatoueur Yashka Steiner, 44 ans, encre du côté de Genève, en Suisse. Même s’il fait parfois venir un guest, en général il aime tatouer seul dans un environnement...
Le 27 mars 2018

Le tatoueur Yashka Steiner, 44 ans, encre du côté de Genève, en Suisse.

Même s’il fait parfois venir un guest, en général il aime tatouer seul dans un environnement le plus neutre possible pour « transcender le projet de la personne qui est la seule image visible dans la pièce aux murs blancs » où il a aussi une petite armée de figurines manga discrètes qui protègent les lieux et qu’il faut vraiment bien chercher du regard.

Yashka Steiner

Yashka Steiner

Quel est ton premier souvenir d’enfance en matière de tatouage ? 
« Une tête de dragon sur l’avant-bras de mon oncle, tatouée lors de son périple en Inde et au Népal dans les années 80. »

Peux tu me dire quand est-ce que tu as fait ton premier tatouage ? 
« En 2012. Un signe infini. C’est aussi le premier tatouage que j’ai réalisé. Pendant longtemps, je n’en portais pas. En partie parce que j’ai passé du temps au Japon et je voulais pouvoir entrer librement dans les bains thermaux, aller à la piscine, m’inscrire à un club de sport ou même souscrire une assurance. Toutes ces choses sont proscrites pour les gens qui portent des tatouages. Contrairement à ce que l’on pense, le Japon n’est pas du tout tattoo friendly car au-delà de l’aspect esthétique, le tatouage fait référence à l’univers de la mafia. Maintenant ça n’a plus vraiment d’importance, même si je pense retourner là-bas un jour et y vivre à nouveau quelques temps.  »

Yashka Steiner

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Quand et comment pour toi le tatouage s’est imposé comme un métier ? 
« J’ai toujours été fasciné par cet univers car dans les années 80 mon oncle, Beat Steiner, était un précurseur du tatouage en Suisse. J’ai appris beaucoup sans le savoir en le voyant travailler, souder ses aiguilles, etc. Après son décès ses amis qui étaient également ses clients m’ont soutenu pour que je pérennise cette activité. Peu de temps après, je suis parti avec un peu de matériel au Japon où j’ai piqué mes premiers tatouages sur des amis. À mon retour en Suisse, j’ai installé mon propre studio que j’appelle le « donjon » car bien que moderne, il est situé dans l’un des plus vieux bâtiments restaurés de Genève. »

Qu’est ce que tu aimes dans le tatouage ?
« Le côté magique et rituel. On a tendance à oublier qu’il s’agit d’un rite de passage depuis la nuit des temps. Ce que je n’aime pas dans le tatouage, en revanche, c’est le consumérisme qui l’entoure. Je trouve dommage que ce soit devenu un simple produit de consommation. »

Yashka Steiner

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Peux-tu développer ton sentiment par rapport au consumérisme dans le tatouage ?
« Oui, prenons l’exemple du Sakyan (tatouage sacré en Thaïlande). Ces tatouages sont réalisés par des prêtres qui utilisent une lance monastique et des encres faites avec, entre autres, des herbes médicinales et qui insufflent une puissante magie. Puis, les tatouages sont activés avec des prières. La personne ressort de cette expérience transcendée et plus forte. Paradoxalement, vous pouvez choisir un motif de sakyan sur Pinterest, et vous le faire tatouer en plus petit sur le bras avec une encre industrielle par un tatoueur qui n’a jamais mis les pieds en Asie, et qui par ailleurs est pressé car il a encore trois clients après vous… Ce qui vous arrange aussi car vous avez quelque chose de prévu dans deux heures. Voilà, je trouve dommage de ne pas donner de l’importance à ce moment, et de ne pas vivre dans l’instant présent. »

Quels sont tes artistes tatoueurs préférés ?
« Kenji Alucky, Xead Le Head,  Filip Leu, il y en a beaucoup ! »

Quelles sont tes influences en matière de tatouage ?
« Plus que des artistes tatoueurs, les artistes tout court m’inspirent. Ma culture visuelle est influencée par Walter De Maria, Marcel Duchamp, en passant par des architectes japonais comme Tadao Ando ou Kengo Kuma. En matière de design, j’ai été très influencé par John Maeda ou des typographes tels que Wim Crouwel, et j’adore les illustrations de Gustave Doré ou les paysages psychédéliques de Druillet. »

Yashka Steiner

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Tu aimes pratiquer quel style lorsque tu tatoues quelqu’un ?
« J’aime les grandes pièces qui mettent en valeur le corps et sont vraiment intégrées à l’anatomie de la personne. J’aime les grandes surfaces de noir et créer des patterns uniques, ce qui ne m’empêche pas selon les projets d’avoir recours au dessin. J’ai commencé ma carrière en essayant tous les styles afin de ne pas m’enfermer dans une catégorie. Cependant, actuellement, je ne communique que sur mes pièces graphiques car c’est la direction qui me convient le plus en ce moment. »

Comment décrirais-tu ton travail de tatoueur ?
« Avec vingt ans d’expérience dans le design, je me considère plus comme un designer qui fait du tatouage, ce qui est vrai d’ailleurs, parce qu’actuellement je pratique ces deux activités. J’essaie de créer une extension du corps grâce aux lignes, les points, de la matière, des aplats noirs, des dégradés et des structures avec pour seul canevas le corps que je considère comme une seule et même surface. Cela me rapproche du tatouage japonais traditionnel ou encore du tatouage tribal. J’utilise toutes sortes de techniques comme le mapping, la projection et l’infographie 3d pour élaborer des projets qui prennent en compte l’aspect tridimensionnel du corps.  »

Yashka Steiner

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Quelle recommandation donnerais-tu à une personne qui veut devenir tatoueur ?
« Avoir un premier métier et le garder jusqu’à ce que ce qu’elle soit au point, que ce soit en autodidacte ou en apprentissage. Après, il n’y a pas de recette miracle, pas de raccourcis, juste deux mots : sacrifice et plaisir. »

 

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Retrouvez Yashka Steiner sur  Instagram (Y4SHK4) et son site internet.

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